Dans les médias

Un article de Jean-Paul Jouary (l’Humanité, juillet 2022), professeur de philosophie adhérent à notre association et auteur du livre « vivre et penser dans l’incertitude », paru en 2021 aux éditions les belles lettres

Rousseau, notre contemporain

Trois-cent-dix ans après sa naissance, Jean-Jacques Rousseau continue de nous parler d’une façon étrangement actuelle. Pas seulement parce qu’il a définitivement démontré dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes que les inégalités sociales n’ont rien de « naturel », qu’elle n’ont donc rien d’une fatalité, que les dépasser relève du politique et que le peuple peut en faire son affaire, ce qui plus encore qu’à son époque concerne aujourd’hui toutes les sociétés. Pas seulement non plus parce qu’il critique déjà un système qui n’existe pas encore et que revendiquent la plupart des révolutionnaires de son temps : celui qui consiste à se donner des « gouvernants », même de façon démocratique, en leur transférant tout pouvoir entre deux élections, ce qui les institue comme des « dirigeants » qui prétendent tout décider sans que le peuple n’ait plus son mot à dire. Non : ce qui rend Rousseau extraordinairement actuel, c’est la façon qu’il a de concevoir un système politique dans lequel il est possible de conserver toute sa liberté tout en obéissant aux lois instituées collectivement. C’est d’ailleurs entièrement l’objet du Contrat social, qui demeure à mes yeux le livre de philosophie politique le plus éclairant qui soit.

Bien sûr, il n’ignore pas que pour qu’un peuple s’autogouverne en permanence sans instance de gouvernement, il faudrait un « peuple de dieux » qui n’existera jamais. Il constate aussi qu’aucun peuple ne pourra collectivement s’entendre sur ce qui est le plus juste pour lui : les habitudes acquises dans les systèmes corrompus, l’inclination nécessaire à faire prédominer ses intérêts particuliers, mais aussi l’impossibilité d’acquérir tous ensemble une culture, des concepts, des modes de raisonnement propres à bâtir un ensemble de lois « parfaites », tout cela rend utopique une démocratie parfaite. Cela d’ailleurs nourrit son pessimisme, sa conviction désespérée que jamais la « volonté de tous » (celle qui s’exprime concrètement dans les votes, les opinions qui existent réellement dans le peuple) ne coïncidera avec la « volonté générale » (ce que voudrait rationnellement le peuple s’il avait la connaissance absolue de ses intérêts communs). Il ne rêve pas le peuple, mais tient tout de même à penser sa liberté, en grand philosophe.

La condition essentielle pour y parvenir, c’est de modifier la conception du « contrat » alors théorisée par des philosophes comme Hobbes, Grotius, Locke, et par l’essentiel de nos contemporains : celle qui le conçoit comme une sorte d’échange entre la liberté que le peuple transfère au pouvoir d’État, et l’ordre et la sécurité que celui-ci doit assurer en retour. Au terme de ce transfert de souveraineté, le peuple a aliéné toute liberté citoyenne. Rousseau lui oppose un contrat que le peuple passe avec lui-même (définition de la direction à prendre), et la nomination de ceux à qui incombera la tâche de l’appliquer, de gouverner (tenir le gouvernail, ce qui sur un bateau ne donne pas le droit de décider la direction). Et bien entendu, les gouvernants  pourront donc être révoqués s’ils s’écartent de la direction qui a été fixée par les citoyens. Ainsi, en obéissant aux lois le peuple s’obéit à lui-même et n’aliène donc pas sa liberté. Cela en dit long sur les sophistes qui aujourd’hui voient dans Rousseau l’ancêtre du totalitarisme, les mêmes qui voient dans tout adversaire de la monarchie présidentielle libérale un dangereux anti-républicain.

Ce qui sous-tend cette pensée démocratique de Rousseau, et qu’il développe largement dans le Contrat social, c’est sa critique de l’idée même de « représentation ». Nul ne peut re-présenter le peuple au sens de s’arroger le droit de décider à sa place. Le peuple ne peut être représenté, répète-t-il, et le prétendre revient à lui ôter toute liberté. Qui ne voit que cette affirmation alors théorique s’incarne dans la crise profonde de ce que nous appelons la « démocratie représentative » et qui, parce que le peuple est sans cesse trompé, dominé, réprimé, le conduit à s’abstenir ou être tenté, par déception, de voter pour des adversaires de la démocratie ? En France et ailleurs. Cette crise profonde et menaçante découle d’un sentiment de dépossession, d’impuissance, qui provoque à la fois la désertion des urnes et l’explosion de colères, de haines, ou bien de vastes mouvements populaires pour de nouvelles conquêtes sociales et démocratiques. C’est dans cette pluralité de possibles que nous vivons et agissons, et c’est tout l’intérêt de Jean-Jacques Rousseau de nous parler encore en termes neufs. La mise sous tutelle du peuple n’est pas une fatalité même si, comme l’a bien vu Rousseau, elle se nourrit des traditions et habitudes de pensée, de la propagande des « maîtres » aussi. Lire Rousseau ce n’est pas lire un auteur du passé, mais un philosophe d’avenir.

 

Une table ronde (l’Humanité, janvier 2022) sur le thème « en quoi Rousseau est-il contemporain ? »
Cliquer ICI pour ouvrir l’article en PDF

 

« C’est la faute à Rousseau  : un article d’Hervé Nathan (Alternatives Économiques, juillet 2021

« Pour certains penseurs, la nature est source de vérité. Les hommes doivent y puiser des enseignements, des vertus morales. Et nous avons des devoirs vis-à-vis d’elle ».

(pour lire l’article, clic droit sur l’image ci-dessous puis sélectionner « ouvrir l’image dans un nouvel onglet »

Liens  » Jean-Jacques Rousseau » sur le réseau social Twitter

Que se passerait-il si Jean-Jacques Rousseau inspirait développeurs et éleveurs d’algorithmes ? Et s’il ressuscitait en 2046 ? https://twitter.com/USBEKetRICA/status/1119179542822830080

Le contrat social ou le contrat social post-numérique : https://twitter.com/DdataaO/status/1120072567161851906

Quand l’IA de Jean-Jacques Rousseau élaborera le nouveau contrat social : https://twitter.com/William_Sehil/status/1118882024071340033

Citations Jean-Jacques Rousseau

https://twitter.com/LaurenceBrattin/status/1081476846582198272

https://twitter.com/Quotes_PS/status/1114612500279046145

https://twitter.com/Quotes_PS/status/1114421239353958401

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Le « Contrat social » de Jean-Jacques Rousseau

4 épisodes de 55 mn diffusés de 10h à 10h55 par France Culture dans  Les Chemins de la philosophie par Adèle Van Reeth du 15 au 18 avril 2019.

Paru en 1762, le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau révolutionne son époque et marque une rupture dans l’histoire, affirmant le principe de souveraineté du peuple.

Nous vous recommandons tout particulièrement de réécouter la première émission du 15 avril avec Céline Spector, philosophe, professeure à l’URF de Philosophie de Sorbonne Université, adhérente à notre Association « Rousseau à Montmorency ». Thème :

Doit-on se plier à la volonté générale ?

Céline Spector a publié en 2017 un essai très savant sous le titre « Rousseau et la critique de l’économie politique », éd. Presse Universitaire de Bordeaux, dans lequel elle confronte l’œuvre de Rousseau aux travaux de l’économie politique naissante dans la deuxième moitié du 18ème siècle, ce qui la conduit à montrer à quel point la pensée de Rousseau conserve aujourd’hui encore une grande actualité.

Céline Spector a collaboré à la réalisation du film de Pascal Fancea « Rousseau, l’homme de la nature et de la liberté »   produit en janvier 2012 par le CRDP de Grenoble à destination des enseignants de l’Éducation nationale. Pour découvrir la grande qualité de ce film, regardez les 5 extraits classés par thèmes publiés sur le site internet de l’Académie de Grenoble .

De façon générale nous vous recommandons tous les documents numériques relatifs à Jean-Jacques Rousseau mis en ligne par l’Académie de Grenoble : voir ICI.

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Articles de Presse relatant l’évènement organisé par notre Association le 8 juin 2018 à Montmorency :

« ROUSSEAU, HIER ET AUJOURD’HUI »